Le Val-Brillantois Johnny Côté a servi dans le Corps expéditionnaire canadien qui fut envoyé en Sibérie à la fin de 1918.

 

Même si la Première Guerre Mondiale venait de prendre fin le 11 novembre, le Canada devait continuer à aider le Tsar russe contre les Bolsheviks.

 

Le matin du 23 décembre 1918, Johnny Côté et 1200 autres soldats canadiens s'embarquaient dans le port de Vancouver à bord d'un petit navire japonais, le "Teista" et débutaient leur long voyage vers la Sibérie.

 

Johnny Côté a écrit un court récit sur cette traversée, intitulée " Noel en mer ". Vous pouvez lire ce récit ci-bas.

 

 

Noël en mer

Une histoire vécue

par le soldat canadien

Johnny Côté

Compagnie D

259 ième Bataillon,

Corps Expéditionnaire Canadien en Sibérie

1918 - 1919

 

 

En ce Noël 2018, nous allons célébrer le 100e anniversaire du "Noël en mer" vécu par mon Grand-Père maternel en 1918.

 

A l'heure du Minuit Chrétien, souvenons-nous de ce Noël en mer, il y a 100 ans, alors que le soldat canadien Johnny Côté bravait les vagues fougueuses de l'océan Pacifique à bord du petit navire "Teista". Maintes fois durant ma jeunesse à Val-Brillant, j'ai lu et relu le texte de ce "Noël en mer". A chaque fois, l'admiration pour mon Grand-Père grandissait et c'est avec fierté que je le suivais partout où il allait dans les forêts de la Vallée de la Matapédia.

 

J'ai passé plusieurs années en mer durant ma vie et à chaque fois que les vagues se déchainaient, ça me faisait penser à mon grand-père et à la furieuse tempête qui secouait le "Teista" le soir de Noël 1918.

 

Quand j'étais matelot dans la Marine Royale du Canada, mon Grand-Père et moi avons souvent comparé les tempêtes que nous avions fait face en mer. Dans mon cas, j'étais bien protégé à bord de navires et sous-marins modernes. Quant à mon grand-père, entassé avec 1,200 autres soldats à bord d'un petit navire surchargé, c'était une autre histoire.

 

Donald Courcy

Fils de Luc Courcy et de Claudine Côté

Petit-fils de Johnny Côté

11 novembre 2018

 

Voici le récit écrit par mon Grand-Père.

 

 

NOËL EN MER

par le soldat canadien Johnny Côté

Un Noël que j'ai vécu en 1918. C'était vers la fin de la terrible guerre mondiale de 1914 à 1918. Notre Canada, après quatre ans de dévouement et de sacrifices de toutes sortes, se voyait appliquer la loi martiale, et le service obligatoire pour tous les célibataires âgés de 21 ans à 23 ans. Je me trouvais de cette classe étant âgé de 21 ans. Toutes exemptions ayant été cancellées, nous étions tous appelés à nos districts militaires respectifs, et nous du bas du fleuve devions nous rapporter à Québec.

 

Et c'est le coeur bien gros qu'il a fallu quitter le foyer paternel, Père et Mère, Frères et Soeurs, ainsi que Grand-Père et Grand-Mère maternels qui vivaient avec nous depuis un an. Il fallait se montrer courageux devant ces êtres si chers afin d'allèger autant que possible leurs chagrins causés par mon départ. Les officiers recruteurs nous disaient qu'il ne s'agissait que d'une simple formalité et qu'étant sous le coup de la loi martiale, nous étions obligés de passer par les bureaus militaires afin de mettre nos papiers en règle et de passer des examens médicaux qui étaient aussi obligatoires, afin que ceux qui étaient aptes au service soient classés suivant leurs catégories.

 

Mais tel n'était pas le cas. La guerre n'était pas finie et les troupes ennemies se montraient plus agressives que jamais. C'est vers ce temps là qu'un grand nombre des nôtres sont tombés sur le champ de bataille et que les troupes alliées ont subi de durs revers. Donc, une fois rendu au camp militaire, il a fallu se résigner à devenir de véritables soldats, afin de remplacer ceux qui étaient tombés au champ de carnage que l'on appelle un champ d'honneur.

 

Canadiens portant des masques en 1918

Archives nationales du Canada

En plus des horreurs de la guerre, il y avait à cette époque la terrible Grippe Espagnole qui avait commencé ses ravages, fauchant sans répit des milliers de Canadiens, et chaque jour, semait le deuil dans bien des foyers. Cette grave maladie causa 50,000 morts au Canada et environ 40 millions dans le monde. A tous les jours, il y avait des centaines de morts à Montréal et partout au Québec. Cette maladie tuait à une vitesse fulgurante. Les malades mouraient après seulement 1 à 2 jours de maladie. Pour éviter la contamination, on fermait tous les lieux publics. Seules les églises restaient ouvertes et les gens portaient le masque à gaz.

 

Enterrement des victimes de la Grippe Espagnole

Archives nationales du Canada

Et c'est dans cette période de désolation que je fis mon entrée au camp militaire à Québec. Tous les camps étaient en quarantaine à cause de la Grippe Espagnole; la tristesse règnait dans toute la ville; il y avait des officiers de la Police Miliaire (P.M.) à chaque coin de rue, sur les trains et dans tous les édifices publiques. Il fallait avoir nos papiers continuellement à la main, et attendre de longs moments afin que chacun passe à la censure. Les rues étaient remplis de cortèges funèbres, les cimetières étaient remplis de personnes en deuil, pleurant sur la tombe d'un disparu, et regardant travailler les ouvriers qui creusaient des fosses à la longue journée. Partout, c'était la tristesse et la désolation. Plusieurs portaient un bandeau sur la bouche et le nez afin de se préserver de la grippe. Une odeur de formaline et de désinfectants remplissait l'atmosphère. Dans les restaurants, il n'y avait pas de musique sonore comme aujourd'hui. L'on entendait que le bruit de la vaisselle sur les tables et le craquement des papiers que chacun devait montrer à la police militaire.

 

Comme tous les camps étaient en quarantaine et que les officiers et médecins se protègeaint de leur mieux contre la grippe, nous avons beaucoup souffert du manque d'organisation. Nous recevions des rations juste pour nous empêcher de mourir de faim. Les baraques étaient encombrées par le grand nombre de conscrits qui arrivaient chaque jour des quatres coins de la Province, ce qui obligea les autorités militaires à loger les conscrits au camp Belvédère près des plaines d'Abraham. Nous logions dans des tentes sans feu et couchions sur le sol boueux et gelé, n'ayant qu'une simple toile sous nos couvertes qui nous servait de lit. Le classement des conscrits était ainsi retardé car personne n'avait le temps de s'occuper de nous et le nombre augmentait à chaque jour.
 

C'est là que nous avons appris, qu'au lieu d'aller rejoindre nos frères qui se battaient en Europe, nous allions faire partie d'une expédition de l'Armée Canadienne en Sibérie. Notre mission serait d'aller prêter main forte au gouvernement russe qui se trouvait complètement démembré après la révolution de 1917, et l'assassinat de ses chefs.

 

Après un séjour de trois semaines dans ce camp de misère, je dus endossé l'uniforme kaki, sans avoir passé l'examen médical, mais j'acceptai avec joie cette échange de bons vêtements de laine chaude contre mes pauvres vêtements civils tout tachés de boue. Après trois jours, nous avions reçu du Quartier Maître tout notre équipement de soldat, et nous avons quitté avec joie ce camp de concentration, laissant là un bon nombre de pauvres conscrits dont le sort n'était pas encore fixé, et nous sommes aller rejoindre à la Citadelle une partie de notre Compagnie qui avait déjà commencé son entraînement. C'est là que j'ai apprécié le comfort des baraques chauffées, et des bons lits sur des paillasses bien remplies de paille fraîche. Après une bonne nuit de sommeil, il a fallu que le clairon sonne le réveil plus qu'une fois pour nous, et le sergent de service en nous grondant, nous dit: "Est-ce qu'il va falloir faire tonner les canons de la Citadelle pour vous réveiller ?". C'était le commencement de la discipline militaire qu'il fallait accepter.

 

 

Départ pour Victoria, B.C. 

Notre séjour à la Citadelle fut de courte durée, et les Autorités Militaires décidèrent de nous envoyer faire notre entraînement dans un endroit plus chaud, et c'est le 22 octobre 1918 que nous embarquions dans un train à la Gare du Pacifique de Québec à destination de Vancouver. C'était par un beau matin mais les rues de la vieille Capitale étaient couvertes de glace, et il était difficile de garder le pas militaire avec nos bottines ferrées; nous avions l'allure d'une équipe de joueurs d'hockey. Le trajet de Québec à Vancouver dura huit jours, et le changement du paysage le long du parcours du chemin nous fit oublier la distance qui augmentait à chaque jour en nous éloignant de notre chère province. Ce fut d'abord le passage des grandes villes du Québec et de l'Ontario ainsi que les forêts et les lacs, et ensuite les grandes prairies de l'Ouest canadien, et les caravanes de wagons trainées par des chevaux transportant le blé aux élévateurs. Puis, comme dernière étape, la traversée des Montagnes rocheuses, les long tunnels sous les montagnes, les belles forêts de la Colombie-Canadienne, et enfin l'arrivée à Vancouver par une température douce et pluvieuse le jour de la Toussaint.

 

Après notre débarquement du train à Vancouver, nous prenions place à bord d'un joli bateau "LA PRINCESSE CHARLOTTE" qui nous conduisit à Victoria. Le soir du même jour, nous étions installés au camp Willaus. Là nous étions encore logés dans des tentes mais beaucoup plus comfortable qu'à Québec ayant un plancher de bois avec une température plus clémente.

 

Là commença notre entraînement pour de bon, formation de parade, division des pelotons, drille à la carabine, exercices de tir, lancement de grenades, etc., sans oublier la discipline militaire et le patriotisme que l'on nous prêchait à tous les jours. Il fallait devenir de vrais soldats. C'est là qu'un des nôtres, un personnage qui est bien connu dans la province de Quévec, fut promu sergent. Je veux parler de l'Honorable Antoine Rivard, Soliciteur Général, qui obtint le grade de lieutemant une fois rendu en Sibérie.

 

Au camp Willaus, il y avait deux bataillons qui poursuivaient leur entraînement et faisaient partie de l'expédition pour la Sibérie. Le 260 était formé de quatre compagnies anglaises de l'Ouest et de la Nouvelle-Écosse. Notre bataillon, le 259, était formé de deux compagnies anglaises et de deux compagnies canadienne-françaises. La compagnie C, formés de conscrits de la région de Montréal, et nous, de la compagnie D, des conscrits de la région de Québec, du Lac St-Jean, et du Bas-Fleuve, dont voici les noms de quelques-uns: Narcisse Rioux de St-Simon, comté de Rimouski, Arthur Lemieux de Price, comté de Matane, Georges Couturier de St-André de Matapédia, Valmond Arsenault et André Berthelot de St-Omer, comté de Bonaventure.
 

 

Comme il n'y avait pas de radio à cette époque, les nouvelles qui nous parvenaient par les journaux du Québec, quoique vieux de huit jours étaient três intéressants pour nous, et le soir au Y.M.C.A. où nous nous rendions pour l'arrivée du courrier, l'on se disputait ces journaux, et les chères lettres, nous apportant les nouvelles de chez-nous, nous apprenant qu'un parent ou un ami avait été fauché par la terrible Grippe Espagnole. Que ces veillées étaient vite passées lorsque sonnait le couvre-feu. La nuit dans notre sommeil, que de beaux rêves avons nous fait, sur nos paillasses, dans nos petites tentes rondes où nous logions six soldats par tente. Et le matin que de déceptions au réveil, au lieu d'entendre la voix de la bonne maman ou d'autres voix bien connues, c'était les rudes notes du clairon et les hurlements des chiens dont les camps militaires sont toujours remplis, qui nous rappelaient que nous étions toujours des soldats et qu'il fallait continuer à se soumettre à la discipline.

 

Fin de la 1 ère Guerre Mondiale

 

Le 11 novembre 1918, fin des hostilités en Europe, que de joie dans tout l'Univers; défaite des troupes ennemies, et triomphe des alliés; que de joie dans les foyers qui attendent le retour d'un héros qui a échappé à la mort tandis que d'autres moins chanceux n'ont pu voir la fin de ce terrible conflit. Pour ces héros qui dorment à jamais en terre étrangère et pour les parents de ces héros, ayont pour tous ces malheureux une bonne pensée et une prière pour ces braves qui ont fait le sacrifice de leur vie.
 

Au matin du 11 novembre 1918, tout notre camp est éveillé de très bonne heure par les petits vendeurs de journaux qui venaient nous offrir le "COLUMBIA GRAPHIC" dont la première page ne contenait qu"un seul mot: "PEACE"(PAIX) formé par de grandes lettres couvrant toute la page. Tout le camp est en éveil, les deux Bataillons 259 et 260 et les autres unités, soient environ 5,000 soldats. L'on se dispute ces journaux imprimés en anglais dont la plupart d'entre nous ne pouvait lire, mais qui apportait une si grande nouvelle. Ce jour-là, il n'y eut pas d'entraînement, une grande parade fut formée pour aller en ville se joindre au triomphe. Il nous a fallu attendre plusieurs heures pour prendre place au défilé qui dura plus de quatre heures par toutes les rues de la ville.

 

 

Il y eut un office religieux debout dans les allées, et tous chantaient en Choeur le chant du TE DEUM. Puis le soir ce fut le lever du C.B. dans tout le camp où il était défendu pour tous les soldats de sortir du camp sans permission. C'était mes premières heures de liberté depuis que j'avais quitté mon cher village d'Amqui, un soir du 5 octobre 1918. Que de changements en 6 semaines, dans la vie d'un petit conscrit. Ce soir-là nous nous sommes joints à la population de Victoria. Le triomphe et le délire de la foule dura une partie de la nuit.

 

Départ pour la Sibérie 

Mais cette armistice n'était pas la nôtre, et le lendemain matin à l'heure de la parade nos commandants nous avertissaient que nous devions continuer notre entraînement et devenir de bons soldats car il nous faudra s'embarquer prochainement pour la Sibérie où nous sommes appelés à aider le gouvernement russe à maintenir l'ordre dans le port de mer de Vladivostock où les Bolchévistes sont maîtres de la situation.

 

Durant toute la journée du 22 décembre, nous avions attendu debout dans des sheds, semblables aux enclôs des abattoirs où l'on loge des animaux destinés à la boucherie, car le navire Teista n'était pas encore accosté au quai.

 

 

Nous avions donc pris place dans ce petit navire durant la nuit du 22 au 23 décembre, sans remarquer le comfort qui nous attendait et sans songer que nous aurions 7,000 milles d'océan à traverser dans cette frêle embarquation.

 

 

Au matin du 23 décembre, aux premières lueurs du jour, nous pouvions encore distinguer les côtes canadiennes et la crête des montagnes rocheuses. Je monte sur le pont pour dire un dernier adieu à notre cher pays; il y en a déjà d'autres qui sont là avant moi ayant tous la même pensée: "Quand reverrons-nous ce cher pays pour qui tant de Canadiens viennent de donner leur vie pour la liberté de tous et qu'allons-nous faire dans ce sauvage pays où les Russes se battent entre eux ? Est-ce là le patriotisme qu'on nous a tant prêché ? Et quelle gloire rapporterons-nous de ce long voyage ?".

 

Enfin la cloche sonne le déjeuner, la parade des repas comme celle de l'entraînement est obligatoire. Il faut se mettre à table, mais plusieurs ne mangent pas soit par l'émotion causée par notre brusque départ, soit par le mal de mer, dont plusieurs sont déjà atteints. Le repas à bord n'est pas très gai. Et ainsi commence notre longue traversée sur l'Océan Pacifique qui devait durer 24 jours.
 

 

A bord de ce petit bateau, en plus des 1,200 soldats, il y avait un équipage d'environ 75 hommes dont les officiers étaient des Américains ou des Anglais et les matelots étaient tous des Chinois. Je vous assure que nous n'étions pas à bord du Queen Mary. Après 2 jours en mer, qui s'était montrée très calme, voilà qu'à la fin de la deuxième journée, c'est-à-dire le 24 décembre, une tempête s'élève, comme il se voyait rarement d'après les témoignages des membres d'équipage. Le "TEISTA" est ballotté par les vagues qui sont devenues des montagnes d'écume. Ordre est donné à tous de descendre dans nos sections et défense est faite de fumer ou d'allumer des allumettes, car en cas de danger, nous ne pourrions avoir de secours d'aucun bateau qui sont très rares dans les parages. On nous dit même que le télégraphe sans fil ne marche pas et qu'il est impossible d'avoir des communications avec la terre ferme et avec aucun bateau. Les mouettes qui nous ont escorté par centaines durant ces 2 jours sont toutes disparues pour retourner sans doute à la terre ferme. En quittant le pont, nous jetons un dernier regard sur l'océan et nous ne voyons que des montagnes d'écume entre la mer et le ciel.

 

Nous avions remarqué le matin que la cuisine des soldats était située sur le pont en avant du bateau. Les marmites sont faites à même les poêles qui sont chauffés au charbon et se trouvent protégées des vagues par un abri de feuilles d'acier et c'est là que nous devons aller chercher nos rations. A chaque table il y a un sergent ou un caporal qui est en charge et vis-à-vis de chaque table accrochée au mur il y a une plaque de cuivre portant le numéro des tables et qu'il faut apporter avec nous à chaque fois que nous allons chercher nos rations. A l'heure du souper le caporal Berthelot qui est en charge de notre table demande deux volontaires pour aller chercher les rations et tous s'accordent à dire qu'ils préfèrent se passer de manger plutôt que d'aller se faire arroser par les vagues qui balaient le pont et risquer d'être jeté à la mer. Et le caporal Berthelot de dire: "N'OUBLIEZ PAS QUE C'EST LE RÉVEILLON DE NOEL QUE NOUS MANQUERONS CE SOIR". Cette réflexion eut pour effet d'en faire soupirer plusieurs, et de nous rappeler trop cruellement que dans bien de foyers canadiens il y aura une place de vide pour ce soir-là.

 

Mais le commandement du caporal était un ordre, et avec l'aide du Clairon Boucher qui s'empare de la cafetière, moi, je prends le grand plat et la plaque de cuivre indiquant le numéro de notre table, nous montons sur le pont, nous tenant quelques instants sous une passerelle à l'abri des vagues en attendant notre tour d'être servis. Enfin, guettant une accalmie et nous tenant aux cordages qui relient les échelles des mats à la cuisine et une fois servis, nous devons revenir à nos sections et affronter le même danger. C'est ainsi que, en rencontrant un autre compagnon, mon ami Boucher est obligé de lâcher les cordages et tombe à plat ventre sur le pont, la cafetière qui a un bon couvercle ne se répand pas, mais la livre de beurre et les petits pains flottent sur l'eau dont le pont est rempli. Mais le Clairon Boucher, en bon soldat, se relève, ramasse tout, et se glisse à l'intérieure sous la passerelle. De mon côté, je portais un grand plat rempli de viande et de patates cuites avec la pelure, j'ai la chance de traverser le pont sans accident, mais en prenant le petit escalier pour descendre dans la cale, un tangeage brusque du bateau et une vague qui m'arrive dans le dos me font perdre l'équilibre et je tombe tête première dans un petit passage mal éclairé. Pour m'acquitter de mon mieux de ma mission, je ramasse les patates et la viande que j'ai répandues, mais le bouillon qui aurait servi à apprêter le réveillon est resté sur le plancher. Il ne restait pour le menu que des petits pains et du beurre qui avaient trempé dans l'eau salé et un morceau de viande et des patates qui avaient roulé par terre.

 

Voilà le triste bilan de notre réveillon de Noël 1918 à bord du "TEISTA". Cette furieuse tempête dura plusieurs jours, nous ne pouvions plus accrocher nos hamacs au plafond et nous étions obligés de coucher entre les rangées de tables tout habillés avec nos ceintures de sauvetage autour du corps car nous étions obligés de faire plusieurs fois par nuit des exercices de sauvetage.  Nous avions avec nous deux aumoniers catholiques, mais ils ne purent nous donner les services religieux durant la traversée à cause de la tempête et du manque d'espace. La seule cérémonie religieuse que nous avons eue fut la sépulture d'un de nos compagnons tué accidentellement en tombant dans le fond de la cale, le 29 décembre dont nous avons enseveli le corps dans l'océan. Cette cérémonie fut très touchante et ajoutés aux autres émotions du voyage sont les tristes souvenirs que j'ai conservés d'un Noël passé en mer.

 

Résumé de la traversée

Étant partis de Victoria, le 22 décembre 1918, nous avons mis pied à terre à Vladivostock en Sibérie le 17 janvier 1919, après avoir passé deux jours dans un port de mer du Japon, à "Muroran", pour ravitailler le bateau de charbon et renouveler les réserves d'eau douce.

 

 

Cette expédition devait durer 3 ans, et nous devions revenir par l'Atlantique en traversant l'Asie et l'Europe, mais ayant été remplacés par les troupes anglaises, nous sommes revenus à l'été 1919 par le même chemin, contents de revenir au pays mais laissant derrière nous avec regret plusieurs des nôtres que nous avons ensevelis dans le sol glaçé de la Sibérie.

 

Johnny Côté

Compagnie D, 259 ième Bataillon

Corps Expéditionnaire Canadien en Sibérie  1918/1919

 

 

 

 

"De Victoria à Vladivostok"

par Benjamin Isitt

Benjamin Isitt a écrit le livre ' De Victoria à Vladivostok " sur l'expédition sibérienne

Cliquez ici pour voir un court vidéo en français sur l'expédition sibérienne du Canada

Ou si vous préférez, cliquez ici pour voir le même vidéo en anglais

Vous allez comprendre pourquoi Johnny Côté est allé se battre en Sibérie en 1918/1919

même si la 1ère guerre mondiale était terminée avant le départ pour la Sibérie